Quand on n’a plus rien à dire, on se répète – et ce ne sont pas les marques qui diront le contraire. Si les formats se renouvellent, les campagnes misent sur la hype du rétro pour ressasser le même discours et, parfois, les mêmes produits. Cette nostalgie ambiante dans nos rayons cacherait-elle un marketing intemporel, ou plutôt une incapacité des marques à se renouveler ? Décryptage.
La stratégie de la madeleine
On prend les mêmes et on recommence. En 2019, Milka ressortait sa marmotte à la gloire de la Patamilka, Intermarché redonnait un look seventies au Caprice des Dieux, et l’Orient Express revenait en gare. C’est peu dire : Dame Nostalgie et Madeleine de Proust tirent sur la corde sensible des consommateurs dans une société où l’appétence pour la nouveauté, promue par l’ère de la tech et des start-ups, est très marquée.
La recette est prospère, et ce n’est pas Adidas qui dira le contraire. Lorsque la marque remet l’iconique Stan Smith sur le marché en 2014, trente ans après son lancement, l’engouement est tel que plus de huit millions de paires sont vendues à travers le monde en une seule année – soit l’équivalent de 16 % des ventes des trois dernières décennies !
Alors, pourquoi ça fonctionne si bien ?
L’attrait de la nouveauté vs la hype du vintage
Parce que la crise identitaire des marques, à une époque où leur audience est de moins en moins réceptive et, surtout, de plus en plus lucide, leur complique la tâche. Exit les campagnes de notoriété simples et basiques : les millenials veulent plus. De l’engagement, de la proximité, de l’authenticité… Un combat qui n’a rien de neuf mais sur lequel les marques continuent de se casser les dents.
Face à elles, une génération biberonnée au marketing et à la publicité, peu réceptive, paradoxale, ultra consommatrice de technos, mais défiante et très protectrice de ses données, une génération friande de nouveautés mais prête à se damner pour un goût de revival. Si Proust était né dans les 90’s, sa madeleine aurait été un Nokia 3310… Pour le plus grand plaisir de Nokia qui a profité d’un retour de hype du Snake sur les médias sociaux pour ressortir une capsule en édition limitée.
Brand content : Les marques prennent exemple sur Facebook
Concrètement, il est plus simple pour une marque de parier sur une réédition limitée d’un produit ultra connu, directement sollicité par ses consommateurs, que d’en lancer un nouveau sur un marché déjà ultra saturé.
C’est d’ailleurs d’autant plus simple que ces rééditions éprouvent la technique de rétention déjà bien rodée de Facebook : en proposant régulièrement des « notifications souvenirs », l’équipe de Marc Zuckerberg a parié sur l’émotion du revival pour capter l’attention, culpabiliser et pousser à l’action. La nostalgie agirait donc comme un réveil pour déclencher l’acte d’achat. Et si le procédé marche si bien côté conso, c’est qu’il mêle vintage et modernité, soit deux des caractéristiques paradoxalement très recherchées aujourd’hui.
La création, c’était mieux avant ?
Simon Reynolds, auteur de Rétromania : comment la culture pop recycle son passé pour s’inventer un futur, dénonce le trop plein de nostalgie qui inonde le présent. Pour lui, cette nostalgie de l’âge d’or serait à l’origine d’un assèchement créatif. C’est simple : à trop anticiper un futur anxiogène, on a tendance à se retrancher dans un passé que l’on idéalise, et les marques l’ont bien compris… Mais ne devraient pas pour autant oublier de proposer autre chose !
Il faut dire que le marché, moins florissant, s’est progressivement affranchi de la prise de risques, préférant mettre le design au placard pour obéir aux désirs de ses consommateurs. Ainsi, lorsque Decathlon répond à un twittos en proposant une réédition du #Jog85 pour 10 000 RT, la marque en obtient 30 K en quelques heures. Quelques mois plus tard, lors de la mise en ligne, le serveur ne résiste pas à l’afflux de nostalgiques et le site est dépouillé en quelques minutes. Finalement, la stratégie de la réédition revient aux fondements du capitalisme en créant un besoin et en le produisant pour satisfaire la demande.
Brand content : ce n’est plus ce qu’on dit, mais comment on le dit
Selon Thierry Mermoz, directeur du design automobile de la DS, qui avait pour mission de faire renaître le luxe automobile français. Le designer balaie le rétro qui est réservé à « ceux qui n’ont plus rien à raconter ».
Mais, justement, alors que le paysage médiatique est déjà saturé de messages, l’important n’est plus tant ce qu’on dit, mais comment on le dit. L’essor florissant du podcast ou l’explosion des marques sur les médias sociaux ne viennent pas d’un discours incroyablement novateur mais d’un angle attractif, d’un format qui sort des sentiers battus – en bref, de l’habillage. C’est sans doute bien cela le secret de la communication aujourd’hui : ce qu’on dit compte, évidemment, mais c’est bien la façon dont on le dit qui crée la préférence. Tout comme la mode, la marque tourne en rond – pour le meilleur, et pour le pire.