Ça commence par un spot de publicité acheté innocemment pour toucher son audience. Ça dérive quand l’émission ou la vidéo fait scandale – quand Hanouna se lance dans un sketch homophobe entre deux pubs, quand Zemmour hérisse le poil des réseaux sociaux sur Paris Première, entre un spot Nutella et un clip de PSA. ou quand Logan Paul filme un cadavre en direct. Ça explose quand les marques ne prennent pas les devants et que les internautes les interpellent en direct. Ça se termine par un désengagement massif et quasi systématique des annonceurs.
Annoncer, c’est cautionner ? Réponse avec YouTube qui, de l’autre côté de la barrière, a dû faire face à des annonceurs prêts à tout quitter.
Annoncer, c’est cautionner ?
Inconnue au bataillon – ou presque – il y a trois ans, la brand safety a quitté la marge pour s’installer au coeur des enjeux de marques. Et pour cause ! Entre des réseaux sociaux indomptables et des médias qui multiplient les sorties polémiques, les annonceurs ont dû revoir leur jeu et protéger leur image. En peu de temps, elle est devenue une problématique essentielle pour les marques.
D’abord parce que le nombre de canaux publicitaires s’est démultiplié, parce que les réseaux ont eux-même donné naissance à une multitude de pages et de chaînes de contenus, et parce que la démocratisation des ad-blockers pousse les annonceurs à placer leurs communications là où leur audience veut bien les visionner.
Ensuite, car sur tout canal naissant, la publicité reste expérimentale et mal régulée. C’était le cas de YouTube et des médias sociaux, c’est désormais le cas de nouvelles plateformes naissantes comme Fortnite ou TikTok.
Enfin, parce que face à des consommateurs ultra exigeants et pétris d’attentes à leur égard, les marques ne peuvent plus faire l’autruche : coincées entre leur image et leur ROI, elles doivent aujourd’hui se positionner. « Les marques communiquent sur des plateformes qui sont à l’origine d’un grand vivier de contenus générés par les utilisateurs. Les plateformes ont peu de pouvoir sur ces contenus, sinon celui de la modération, et même si elles sont aidées par une IA, elles ne peuvent pas scanner tout Internet pour garantir un contenu correspondant 100 % aux attentes des marques », estime Claire Grandon, porte-parole de YouTube France.
De la publicité à un enjeu business
Il y a deux ans, Twitter avait déjà réussi à faire ployer les annonceurs de C8 et à leur faire prendre position suite à un énième scandale lié à Touche Pas à Mon Poste. Le réseau de l’immédiateté, si cher aux annonceurs pour tisser un lien étroit avec leurs consommateurs, s’est instantanément retourné contre eux.
Petit Navire a craqué en premier. Bosch, Chanel et Disneyland Paris ont suivi dans la minute, et ont emporté avec eux l’écrasante majorité des annonceurs. Pour la première fois, le grand public a fait ployer une émission en s’attaquant aux valeurs, à l’image et à l’identité des marques qui la financent via les réseaux sociaux.
Il y a quelques semaines, la réaction en chaîne s’est répétée.
Bonjour @NutellaFR
En passant vos pubs sur #ParisPremiere ce mercredi 2/10 pendant l’émission de #Zemmour, vous le cautionnez et le financez.
Est-ce délibéré ?
Il est connu pour ses propos incitant à la haine raciale & religieuse (condamné 2 fois). pic.twitter.com/dS7WvW6GMo
— Sleeping Giants FR (@slpng_giants_fr) October 3, 2019
Ferrero France a cédé, et six autres annonceurs, dont Groupama, PSA, Monabanq et la MAAF ont à leur tour annoncé boycotter l’émission d’Éric Zemmour sur CNews. Toutes, à quelques exceptions près, comme Alpro, la gamme végétale de Danone, dont la réponse vague et floue n’a pas contenté les clients.
Pour l’instant je n achète plus ces produits de cette marque, je suis vigilante
— 🐸Tata Henriette Cerighollo🐸 (@tantehenriettex) October 11, 2019
Plus qu’une question d’image, c’est donc un véritable enjeu business qui se dessine en filigrane pour les marques. « D’un point de vue strictement publicitaire, un annonceur veut du ROI. Il achète un temps d’expression pour parler à sa cible, et ce qu’il y a avant ou après de le concerne pas. Néanmoins, le public est de plus en plus exigeant avec ses marques. Il y a donc une nouvelle dynamique qui se crée, puisque la marque veut conserver une bonne relation avec son audience, donc protéger son image est essentiel. Or, lorsqu’un contenu pour lequel elle annonce ne répond pas à ses valeurs ou, pire, va à leur encontre, elle ne peut y être associée », analyse Claire Grandon.
Les consommateurs vs les marques
Ce cri croissant des consommateurs ne vient pas uniquement des réseaux sociaux, elle vient des applications aussi, notamment de Yuka. L’appli qui note les aliments a déjà séduit plus de douze millions d’utilisateurs et influence leurs achats au quotidien. À tel point que les marques n’ont pas d’autre choix qu’anticiper de mauvaises « notes » et de revoir la composition de leurs produits. À l’image d’Intermarché, qui a annoncé revoir un grand nombre de produits pour être « Yuka friendly », ou de Sephora qui se targue d’avoir lancé une gamme de produits de soin à 99 % naturelle « pour être bien noté sur Yuka ». Yuka serait-il devenu un nouveau canal médiatique à exploiter pour les marques ? Ce qui est certain, c’est que son degré d’influence est puissant et pousse les marques à proposer davantage de qualité pour satisfaire les attentes extrêmement fortes de leurs consommateurs.
Les marques en plein doute
« Pour répondre aux exigences des annonceurs, YouTube a mis en place un barème qui catégorise les chaînes et les contenus créés par les vidéastes. L’objectif est de garantir qu’annoncer sur une vidéo de Squeezie apportera l’audience nécessaire mais collera aussi à l’image de la marque », explique Claire. De là à garantir une plateforme 100 % safe pour les marques ? Impossible, pour un média qui n’est pas maître de ses contenus.
Mais si les enseignes sont promptes à prendre la mouche et à se désengager des médias, elles ont encore du mal à anticiper ces points de friction et à prendre les devants : systématiquement, l’information au risque médiatique est ascendante – elle vient de l’audience et remonte vers les marques.
De quoi mettre en doute la véracité de ces dernières qui ne se positionnent qu’une fois acculées… Quand elles le font. Or, selon une étude Kantar, 65 % des consommateurs français achètent une marque en fonction de leurs convictions. Si les campagnes engagées sont sollicitées par les consommateurs, elles ne suffisent déjà plus : derrière la poudre aux yeux, le prochain défi des annonceurs sera d’inscrire ces positionnements engagées dans leurs valeurs. Et ce sera un défi de taille, où la triche de sera pas de mise.