Après une explosion en grande pompe, le marketing d’influence entame une phase de doute qui freine peu à peu les annonceurs français. Fake influenceurs, communication opaque et déguisée et partenariats dissimulés poussent les abonnés à suspecter aussi bien les contenus sponsorisés que les contenus natifs. Plutôt que de nager en eaux troubles, les marques comme les influenceurs ont tout intérêt à modifier leurs pratiques pour rester viables à long terme et continuer à bénéficier de ce levier de communication digitale.
Influenceurs sous influence
Le 23 juin dernier, la YouTubeuse Sananas, gourou beauté qui compte respectivement 1,7 et 1,4 million d’adeptes sur YouTube et Instagram, a posté une vidéo dans laquelle elle livre le régime alimentaire qui lui a permis de changer son corps – comprendre « perdre du poids ». Un thème qui promettait de faire mouche auprès de son audience principalement jeune et féminine.
Premier contenu de ce type sur sa chaîne qui a pourtant quelques années au compteur, la vidéo est devenue virale en moins de 24 h : les réseaux sociaux ont dénoncé la dangerosité des conseils prodigués et, surtout, le placement de produit qui était (presque) passé inaperçu. Il a fallu scroller 27 lignes dans la barre d’infos pour rencontrer la mention « produit sponsorisé ».
Une fois le truchement exposé au grand jour, les réactions ont pris un nouveau tournant. Les commentaires sur YouTube et sur les réseaux sociaux ont révélé la suspicion des abonné(e)s quant à l’impartialité de la YouTubeuse sur les compotes St Mamet. En deux mots, l’influenceuse et la marque ont tourné au bad buzz.
Sponsoriser, c’est tromper ?
Selon une étude menée par Bloglovin, sur la seule période du mois de juin 2017, 300 000 publicités déguisées en posts ont été recensées sur Instagram. Pour les marques, l’intérêt de cette pratique est de bénéficier de l’aspect humain, de l’authenticité qui se dégage des influenceurs auprès de leur audience, sans engager un budget aussi conséquent que pour la réalisation d’un spot publicitaire. Toucher plus de monde avec moins de moyens : le marketing d’influence a de quoi séduire.
Néanmoins, beaucoup de marques préfèrent adopter un marketing discret et imposent aux influenceurs d’être discrets sur la sponsorisation auprès de leur audience. Et, lorsque la marque n’émet aucune recommandation, c’est bien souvent l’influenceur qui a le réflexe de dissimuler la nature publicitaire du contenu pour conserver l’image authentique qu’il a construit auprès de son public. Mauvaise idée. L’hyper-démocratisation du marketing d’influence et cette volonté de le camoufler le rendent désormais systématiquement suspicieux aux yeux des abonnés. Pourtant, les marques comme les influenceurs auraient beaucoup à gagner à adopter des pratiques plus saines.
Modifier les pratiques pour mieux séduire
Le marketing d’influence permet aux marques de passer à travers le maillage des robots et des outils de blocage publicitaire. Les influenceurs, eux, en ont fait un véritable business. En très peu de temps, cet outil de communication a boosté les ventes en proposant aux annonceurs un accès inédit à audience qui se détournait des canaux traditionnels.
Vincent Manilève, journaliste à Slate, a examiné le rapport entre YouTubeurs et contenus sponsorisés. Depuis le début de l’année, il a noté plus de 40 % des vidéos postées par Sananas comme étant sponsorisées. Plus largement, chez l’ensemble des influenceurs, la lisibilité du financement est toujours très sibylline : cachée dans la description des vidéos, minimisée, nommée « collaboration » et « partenariat », ou résumée avec les hashtags #sp et #ad, dont 77 % des habitués des réseaux sociaux ne connaissent pas la signification.
Le succès de ce levier de communication ne vient pas de jolis visuels postés sur Instagram, mais de la curation régulière d’une communauté qui est intervenue au moment où les millenials se détournaient des marques en qui elles n’avaient plus confiance, car elles les abreuvaient de communication publicitaire. Pourtant, ces pratiques actuelles qui manquent de transparence reproduisent exactement le même schéma : selon un test de la Federal Trade Commission (FTC), la grande majorité des utilisateurs change d’avis sur un produit lorsqu’ils apprennent que le post qui le met en scène est financé par la marque.
Ce sont désormais les marques et les influenceurs que les nouvelles générations suspectent, à tel point que même les vidéos qui sont annoncées comme non sponsorisées, et donc sincères, font également douter. L’addition risque d’être salée.
Les marques ont tout intérêt à modifier leurs pratiques, à demander, voire même à imposer aux influenceurs une politique de transparence, quitte à créer de nouveaux formats de contenus. C’est le pari qu’a fait la YouTubeuse Safia Vendome. Plutôt que de déguiser un produit sponsorisé et de le cacher parmi ses favoris personnels, elle a pris le parti de créer des spots vidéo innovants, en collaboration avec les marques qui la financent. Le sponsoring est clairement annoncé : ses abonnés savent que Lancôme la rémunère pour créer cette vidéo, mais le test réalisé n’en reste pas moins impartial. Résultat, l’influenceuse est une ambassadrice qui convainc. Et c’est bien ce tout ce que les marques souhaitent, non ?