Comment Coca-Cola a réussi à s’associer à Noël dans l’inconscient collectif, au point qu’on lui en attribue souvent (à tort) la paternité. Sans doute le plus gros newsjacking de l’histoire du marketing.
Coca-Cola a-t-il créé le Père Noël ?
Des bouteilles rouges et blanches, une icône au costume rouge et à la barbe blanche….Coïncidence ? La rumeur ressurgit chaque fin d’année : Coca-Cola aurait donné ses couleurs au Père Noël et, selon certains, la marque lui aurait même donné naissance. Il faut dire que les similitudes sont troublantes, et que la marque ne lésine pas sur ses campagnes de fin d’année.
Sauf que… C’est complètement faux ! Le Père Noël tel qu’on le connaît est une construction collégiale. Désolée pour les fans de la théorie du complot , Coca-Cola n’en est pas encore là dans sa conquête du monde.
C’est le dessinateur Thomas Nast (auquel on attribue aussi la paternité du dessin humoristique) qui a popularisé l’image du Père Noël à la fin du XIXème siècle en réalisant 33 illustrations de Santa Claus pour Harper’s Weekly. Pendant 25 ans, Thomas Nast se lance un peu dans la version américaine de « Martine à la plage » : Santa avec les soldats, Santa avec le drapeau de l’Amérique, Santa en famille près de la cheminée, et même Santa au Pôle Nord quand une série d’explorations de l’Arctique capte l’attention du public.
Coca-Cola a-t-il donné ses couleurs au Père Noël ?
Durant cette épopée illustrée, Santa a droit à son relooking : le personnage austère des débuts du siècle, croisement entre les airs d’évêque de Saint-Nicolas et la mythologie allemande pas beaucoup plus festive, change de ton. Dans son dressing : une barbe plus longue, une bedaine sympathique qui décomplexe après un bon burger, une fourrure homologuée par la SPA pour se protéger du froid. L’origine du Père Noël contemporain est là – et elle n’a rien à voir avec Coca-Cola… sauf peut-être ses couleurs ?
Je ne vais pas faire durer le suspense : la réponse est non ! Encore une idée reçue complètement fausse. La paternité des couleurs est difficile à retracer : dans certaines légendes, Saint-Nicolas les portait déjà, dans d’autres, il était plutôt vert (la naissance du green-washing ?). En tous cas, les premiers textes décrivant le Père Noël ne parlent pas du tout de manteau rouge – à la limite d’une fourrure brune, mais pas plus.
Selon la légende, le costume rouge et blanc viendrait de Louis Prang, connu pour avoir créé la tradition des cartes de Noël aux États-Unis. À l’époque, il se lance dans le sillage des représentations de Nast en proposant un bonhomme jovial dans un cadre enneigé, avec un grand manteau rouge ourlé de fourrure et un sac rempli de jouets.
Comment Coca-Cola s’est appropriée le Père Noël
Dans les années 1920, Coca-Cola cherche à élargir son marché : le Coca ne se consomme quasi qu’en été, stratégie marketing axée sur le rafraichissement oblige. Pour sortir de la saisonnalité, la marque travaille donc avec un illustrateur suédois autour de l’image du Père Noël, plus fort symbole hivernal et international, pour s’associer judicieusement à ce marronnier.
Pas très fanfaron, celui-ci prend un air jovial dès 1931, et envahit la presse. L’engouement est immédiat : le public adore, en redemande, et la marque réitère. On commence alors à parler de « Père Noël Coca-Cola ».
Le public est tellement attentif à ses représentations que la modification du moindre élément déclenche des passions. À l’époque, il n’y avait pas Twitter : ce sont donc des milliers de lettres de réclamations qui arrivent chez Coca-Cola quand son Père Noël perd son alliance !
Aujourd’hui, la marque a pris le virage du digital mais n’a pas abandonné son icône des fêtes pour autant. Publicités animées, opérations blogueurs et packagings vintage ont un point commun incontournable : la star des campagnes, au même titre que la boisson, c’est Santa. Et le public continue de suivre.
Si les idées reçues qui circulent sur les liens entre le Père Noël et Coca-Cola ont la dent dure, elles témoignent d’une réalité bien présente : la stratégie marketing de la marque a été tellement efficace qu’elle a réussi à associer Coca-Cola au plus gros marronnier du retail : Noël.
Comment la marque a-t-elle réussi ce tour de force ?
1. La récurrence : en faisant de ses campagnes saisonnières un élément clé de sa stratégie. Aux États-Unis, l’affichage, les prints, les spots télé et, plus tard, les contenus digitaux sont réalisés chaque année depuis 1931.
2. En refaçonnant le personnage : pour coller à l’image qu’elle voulait renvoyer, la marque a progressivement redessiné le Père Noël. Ainsi, elle a gommé son allure austère des débuts pour emprunter aux codes de l’illustration jeunesse : des traits plus grossiers, un teint rubicon, une bedaine iconique et un sourire jovial – autant d’éléments qui rendent le personnage sympathique.
3. En capitalisant sur le contexte politico-économique : Quand les États-Unis débarquent en France en pleine Seconde Guerre Mondiale, tout est à reconstruire. Ils importent alors leur propre culture dans l’hexagone, dont le chewing-gum et le Père Noël Coca-Cola font partie.
Une stratégie efficace, qui mise sur l’association des couleurs et du mythe pour ancrer la marque dans une période économique clé. Malin !