Je vous arrête tout de suite : on ne va pas parler de vos séries préférées, mais plutôt de la façon dont votre addiction à Game of Thrones, Scandal ou Plus belle la vie a poussé les marques à mimer leur mécanisme pour vous rendre accros à leurs produits. Et surtout : pourquoi ça fonctionne si bien. Décryptage.

 

Study case : le cas Sézane

Dans le jargon marketing, Sézane est une DNVB, c’est-à-dire une « digitally native vertical brand ». Comprendre une marque spécialisée née sur internet qui remodèle radicalement les standards du marché.

Son pari ? Exit les collections saisonnières : la marque présente chaque mois une collection en édition très limitée. L’offre est constituée de capsules courtes, dans le volume comme dans le temps, qui augmentent leur désirabilité par crainte d’un épuisement des stocks et, évidemment, jamais soldées. Bref, une stratégie fondée à la fois sur un marketing de la rareté et sur le système addictif de la série.

Le mécanisme est redoutablement efficace, d’autant plus qu’il double ces micro collections de réassorts très attendus. À tel point que les réseaux sociaux de la marque en sont l’étendard : via les commentaires, les clientes elles-mêmes entretiennent cette notion « d’urgence » de l’achat.

 

La loi des séries

L’intelligence et le succès de cette stratégie reposent en grande partie sur sa temporalité : courte, évidemment, mais surtout régulière, à travers des rendez-vous fixés, annoncés, attendus. Et ce n’est pas la seule marque à avoir flairé le bon filon.

Désormais, tout fonctionne en série : les réalisateurs délaissent les longs-métrages pour jouer avec les codes flexibles de ces formats qu’ils reniaient il y a peu, mais qui explosent aujourd’hui, boostés par une guerre des plateformes SVOD. Les romans se lisent en série sur des applications, comme à leurs débuts, publiés dans la presse sous forme d’épisodes. Les marques livrent en série – plus besoin d’anticiper le produit qui va vous manquer, Amazon vous l’envoie avant votre besoin.

Les podcasts, l’information, le sport – dans une société qui cherche en permanence à capter l’attention et la fidélité de ses consommateurs, la série est un levier ultra sollicité. L’objectif ? Pénétrer le cerveau et transformer l’addiction en habitude.

pourquoi est-on accro aux séries

Les rouages de l’addiction

Il faut dire que la consommation oscille entre responsabilisation et frénésie, sans cesse tiraillée entre le binge et une poussée fiévreuse de l’anti-capitalisme. Et si elle semble s’efforcer de se restreindre, c’est une lutte permanente dans une société qui nous dit excessifs mais qui fait tout pour que nous le soyons de plus en plus. Alors, pourquoi sommes-nous tant accros ?

Dans un article de NBC News, la psychologue clinique Renee Carr rapporte que lorsqu’il est engagé dans une activité agréable, telle que le binge-watching, notre cerveau sécrète de la dopamine, aussi connue sous le nom de « l’hormone du plaisir »… et considérée comme étant le neurotransmetteur le plus impliqué dans les processus d’addiction. 

C’est exactement le même ressort qui est exploité par les médias sociaux, Tinder ou Candy Crush comme l’explique Arte : « T’inquiète pas, c’est normal. T’es complètement accro car ces applis sont conçues à la base pour sécréter dans ton cerveau la molécule responsable du plaisir, de la motivation et de l’addiction : la dopamine. »

Renee Carr explicite. « Cette substance chimique donne au corps une récompense naturelle et interne de plaisir qui renforce l’engagement envers cette activité ». « C’est le signal du cerveau qui dit au corps ‘‘ça fait du bien, tu devrais continuer’’. Lorsque vous binge-watchez votre show préféré, votre cerveau produit continuellement de la dopamine, et votre corps éprouve une sorte de pseudo-dépendance parce que vous éprouvez un manque de dopamine. » En bref, les séries enclenchent dans notre cerveau le même processus que si nous consommions des drogues.

 

Série mania : pourquoi ça marche en marketing ?

Parce que le FOMO – la peur de louper un événement majeur – est au coeur de cette stratégie marketing qui ne touche pas uniquement la mode, mais une grande partie des secteurs, B2B comme B2C. C’est une des raisons qui a poussé les éditeurs de logiciels à délaisser les ventes pour basculer vers un modèle de licence – qui garantit à la fois le renouvellement continuel de l’abonnement et la possibilité de bénéficier des nouveautés. Et si le software a adopté ce modèle, le hardware aussi se loue désormais, et permet aux plus addicts de suivre les rythmes délirants des grands fabricants.

La stratégie est tellement efficace que le FOMO aurait un effet direct sur notre organisme qui se mettrait à produire du CRH, une hormone du stress qui nous fait entrer dans un état d’alerte, plus propice à aller vers un nouvel épisode… Ou vers un achat. Ce que Catherine Franssen, universitaire américaine spécialisée en neuroendocrinologie comportementale, explique plus concrètement : « c’est un peu comme le chocolat : après deux ou trois bouchées, l’extase s’envole, on s’entête malgré tout à vouloir reproduire l’effet euphorisant, mais en vain. »

Ce que les marques en retiennent ? Que lorsqu’il est appliqué aux produits, le succès est au rendez-vous.

Sézane réédite constamment ses best-sellers en variant les imprimés, en offrant au passage à ses clientes le plaisir de faire partie de quelques happy few à posséder la même pièce. Apple a construit une grande partie de sa stratégie marketing sur le lancement d’un nouveau produit, chaque rentrée, légèrement augmenté par rapport au précédent. Et nous… on se dit rendez-vous le mois prochain pour un nouveau décryptage ?