Entré au palmarès des scandales de la décennie en mars 2018, le « Cambridge Analytica Gate » fait déjà office de jurisprudence sur la question des données en ligne. Ses conséquences drastiques poussent Facebook et Instagram à multiplier les annonces sur la fermeture de leur API – comprendre que les publications et données utilisateurs publiques, jusque là accessibles par les outils de monitoring, ne le seront plus. Un petit pas en avant pour les utilisateurs, un énorme pas en arrière pour les marques : pour celles-ci, l’analyse des datas web est un outil majeur pour créer leurs offres, cibler leur public et entretenir le dialogue. Donald Trump a-t-il tué les stratégies digitales ?
“Data drives all we do.”
On n’aurait pas pu mieux dire que ce slogan créé par Cambridge Analytica qui a désormais une drôle de résonance. En 2018, la vie privée est une notion obsolète. Et jusqu’ici, ça nous allait plutôt bien. Oui mais voilà, 87 millions de données utilisateurs siphonnées et exploitées à des fins politiques plus tard, le refrain n’est plus exactement le même.
Selon un sondage Ifop pour Le Parisien réalisé en avril 2012, 25% des Français sont prêts à suivre le mouvement #DeleteFacebook. Et la défiance s’avère contagieuse : sur Instagram, Snapchat et Twitter, la plus grande crainte est celle d’une fuite de données vers un serveur malveillant… ou vers le serveur le plu$ offrant.
Et comment les blâmer ? Alors que toute la valeur de Facebook – pour ne citer que lui – repose sur ses 2,2 milliards d’utilisateurs, ceux-ci prennent soudainement conscience que le modèle économique gratuit n’est qu’une illusion. On nous avait pourtant prévenus.
Tous des salauds ?
Les marques seraient-elles au grand méchant loup ce que nos données sont au Chaperon Rouge ? Pas vraiment. Bien sûr, ni la data-analyse, ni les réseaux sociaux ne datent d’hier. Alors, qu’est-ce qui a changé en 10 ans ? D’une part, le modèle économique du digital. De l’autre, une explosion de technos toujours plus fonctionnelles pour favoriser le ROI sur ce web que les professionnels avaient encore du mal à appréhender il y a quelques années.
Avec un nombre d’utilisateurs en perpétuelle croissance, les réseaux sociaux constituent désormais le plus grand panel de verbatim à destination, directe ou indirecte, des marques. Cela permet notamment à ces dernières de monitorer leur visibilité et leur e-reputation, de conduire des études de marché avant un lancement de produit, d’effectuer une veille concurrentielle pour mieux se positionner, mais aussi d’apporter une véritable valeur ajoutée à leurs clients en proposant des services quasi sur-mesure.
C’est d’ailleurs comme cela que des outils comme Netflix ou Spotify fonctionnent : les algorithmes analysent l’historique de choix effectués et poussent des contenus similaires. Or, ce Social Media Monitoring se nourrit des données utilisateurs partagées sur les réseaux sociaux. Une logique qui a notamment conduit Netflix à signer la saison 3 Sense8 après une annulation qui avait fait beaucoup de bruit.
Vers la fin du social listening ?
Pour réagir au scandale Cambridge Analytica et limiter les dégâts, Facebook et Instagram ont annoncé la restriction de leur API, c’est-à-dire de leur base de données publique, et davantage de contrôle sur les outils y ayant accès.
Une annonce qui pourrait faire mal aux stratégies marketing. Exit la veille sur les nouveaux outils déployés par la concurrence, fini la quantification de part de marché en ligne, terminado l’indice de popularité offert par les réseaux sociaux ? L’influence marketing, notamment sur Instagram et Youtube, risque aussi d’en prendre un coup. Dans un contexte où Instagram permet enfin de monitorer les posts des influenceurs pour satisfaire l’appétit ROIste des marques, cette restriction pourrait bien compliquer ce nouveau business aux œufs d’or.
Les utilisateurs grondent, les réseaux multiplient les annonces au service d’une communication qui se veut rassurante et les marques… patientent, faute de mieux.
Ce n’est pourtant pas la première fois que Facebook leur fait un coup de Trafalgar. En 2015, le réseau a drastiquement réduit l’accès à son API, notamment en interdisant aux outils de crawling d’accéder aux groupes, même publics. Ainsi, la data disponible à l’étude est passée de 60 % à… 10 %, en monnayant les 50 % restants à un prix tel qu’aucun outil de social media monitoring ne pouvait se le permettre. Et puis après ? Les modèles de social listening se sont adaptés, d’autres réseaux se sont développés.L’or noir du siècle serait-il déjà en voie de disparition ? Si Facebook persiste à limiter son API, le challenge, pour les marques, sera d’avoir accès au bon outil. Et, pour les outils, d’aller chercher la data ailleurs. En bref, se réinventer, ou regarder le social listening se réduire comme peau de chagrin. Néanmoins, dans un contexte où 90 % des utilisateurs ne sont pas prêts à payer pour protéger leurs données, pas sûr qu’on en arrive à une telle extrême !